
“La mue des gérants de fortunes indépendants”, by Amanda Castillo
Deux projets de loi prévoient de durcir les règles suisses sur les services financiers. Les professionnels se préparent pour affronter une profonde transformation de leur métier.
Le 17 octobre dernier [2014] a marqué un nouveau coup de semonce pour le monde des gérants de fortune indépendants. Ce jour-là, la procédure de consultation portant sur la loi sur les services financiers (LSFin) et la loi sur les établissements financiers (LEFin) a officiellement pris fin. Ces deux projets, encore non définitifs, devraient entrer en vigueur en 2017 au plus tôt. Ils posent les bases du nouvel arsenal réglementaire, à commencer par le statut du gérant de fortune indépendant.
Pour rappel, l’activité de ce dernier n’était jusqu’à présent soumise à aucune autorisation. La surveillance des organismes d’autorégulation ou de la Finma se limitait exclusivement au respect des obligations de diligence découlant de la loi contre le blanchiment d’argent et des règles de conduite applicables. Cet âge d’or a pris fi n. Les gérants indépendants devront désormais faire face à un changement de paradigme: régime d’autorisation préalable, surveillance prudentielle, obligation d’enregistrement et de formation, obligation de documentation, ou encore affiliation obligatoire à un organe de médiation figurent parmi les nouvelles exigences réglementaires. Des nouveautés structurelles qui vont engendrer des coûts administratifs importants.
Selon une récente étude de marché menée par la Haute Ecole des sciences appliquées de Zurich, la majorité des gérants de fortune indépendants sont organisés en petites, voire très petites entreprises. Ainsi, quatre cinquièmes d’entre eux emploient moins de cinq collaborateurs et plus de la moitié gèrent moins de 100 millions de francs. Pour survivre à ce virage réglementaire, un gestionnaire avec des avoirs sous gestion de moins de 25 millions de francs devrait augmenter ses avoirs de 10% au moins pour réaliser le même bénéfice brut annuel. Si le relèvement général des exigences est un point positif pour la réputation des gérants à l’étranger et pour la compétitivité de la place financière suisse, les chiffres inquiètent à juste titre les experts. «Les petits gestionnaires qui ne pourront pas résister à la pression sur les marges et qui souhaiteront poursuivre leur activité sous une forme indépendante devront limiter leur modèle d’affaires au seul conseil en placement ou évaluer d’autres options, explique Nicolas Béguin, avocat spécialisé en droit bancaire et associé de l’étude Akikol, Béguin & Richa LLC. Ils devront par exemple se restructurer par voie de fusions-acquisitions, externaliser certaines tâches ou chercher des plateformes disposées à les accueillir.» Une clause relative aux droits acquis (grandfathering) accorderait toutefois certaines facilités aux gestionnaires de fortune qui exercent leur activité depuis quinze ans et qui n’acceptent plus de nouveaux clients. Selon l’avocat genevois, cette solution s’apparenterait en réalité plus à une mort lente qu’à une véritable alternative: «Le modèle proposé est attractif pour
les gérants de fortune indépendants souhaitant cesser leur activité à court terme. Il ne séduira cependant pas les gestionnaires visant une croissance organique.»
Plusieurs plateformes
Hausse des coûts, mouvements de consolidation et licenciements en masse ne sont pourtant pas des fatalités. En eff et, il existe des solutions entrepreneuriales innovantes qui permettent aux gérants de fortune indépendants de se conformer à moindre coût aux nouvelles exigences réglementaires et qui les dispensent d’atteindre une taille critique. Ainsi, la plateforme genevoise Mantor équipe les gérants externes de toute l’organisation dont ils devront obligatoirement se doter dès que la loi sur les services financiers et sur les établissements financiers entrera en vigueur. Grâce à ses outils d’analyse, de gestion, de trading, de risk management ou encore de reporting, elle permet aux petits gestionnaires de bénéficier de conseils et d’externalisation. Ce qui leur permettra de conserver leur société personnelle et le contact avec leur clientèle. Dans le même ordre d’idées, Assetbox – l’enseigne conjointe de la société d’audit Deloitte et du spécialiste de l’outsourcing du middle office Etops – se pose également comme une solution pour le monde de la gestion. Elle propose les compétences opérationnelles d’un middle office et l’expertise relative à la conformité réglementaire, légale et fiscale.
Autre alternative: la société Greenwich Dealing, basée à Genève, qui offre depuis 2013 une structure indépendante d’outsourcing unique en Europe. «Notre plateforme est multiproduits, explique son CEO, Franck Chatillon. Elle offre, d’une part, la possibilité aux gérants de mettre en œuvre l’exécution de leurs ordres. Nous collaborons avec un vaste réseau de brokers et de banques, ce qui nous permet d’accéder à des prix de marché compétitifs. Les transactions s’effectuent en toute transparence. D’autre part, Greenwich répond à toutes les exigences de reporting réglementaire liées à la transaction ellemême.» Traçabilité des ordres, enregistrement, stockage des données pendant dix ans, mise en conformité avec la législation ou encore reporting de best execution figurent parmi les services proposés par Greenwich Dealing. Enfin, la plateforme e-merging offre un réseau d’affaires transversal aux gérants externes. «Les professions libérales ont tendance à travailler en silo», explique son fondateur Olivier Collombin, responsable des activités dédiées aux gestionnaires de fortune indépendants chez Lombard Odier. «E-merging permet aux experts indépendants de la finance d’identifier les opportunités de fusion. Ils peuvent également l’utiliser pour rechercher des clients ou créer des alliances afin de compléter leur expertise professionnelle, ce qui leur permet de mutualiser les coûts.» Grâce à ce vaste choix de platesformes, les gestionnaires novateurs et performants peuvent ainsi envisager leur avenir avec sérénité. Reste à savoir si les coûts liés à ce changement réglementaire – aussi raisonnables soient-ils – ne seront pas, au final, supportés par leurs clients.